ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



30 septembre 2010

Film PO Film OP

Vu, donc, Oncle Boonmee. Film PO. Film POPO. Film OP. 
 
Film PO. Poétique. Les longs plans plein de vide, le son de la forêt, des images de mystère. Quelque chose d'animiste. Bouddhisme, dirait-on ici, rapport au sujet. Mais je préfère animiste, qui croit à, qui prête une âme à, qui donne une âme au cinéma. Âme et mouvement. Film beau et simple. Pas simplement beau. Beau dans la simplicité. Le plan de cette femme de dos, qui brasse l'air d'une sorte de raquette électrifiée pour tuer des moustiques. Et scratch, scratch, font les insectes ponctuant le silence de ce curieux ballet. La scène de sexe immamurienne, dans le fracas d'une cascade, entre la princesse et le poisson chat qui parle. Les singes fantômes qui trouent la nuit sylvestre de leurs yeux rouge laser. La mort cosmogonique d'oncle Boonmee. Ou la fin et le dédoublement...

Film PO. Politique. La Thailande, la junte militaire, les chemises rouges. La mort de l'oncle et le passage vers un autre temps. Des photos de Boonmee devenu singe fantôme. Des photos du singe fantôme avec des militaires. Singe fantôme marchant une corde au cou tenue par un homme en treillis. Singe fantôme posant pour une photo de groupe tout sourire avec des hommes en treillis et armes. Des militaires quadrillant la campagne. Mais des photos surtout, comme rompant le cours millénaire du temps, figeant le mouvement perpétuel de la nature. Métaphore politique d'un régime qui fige le cours de l'histoire et de la vie ou album photo d'un mourant qui regrette d'avoir tué du rouge, tant, trop de rouges. Métaphore politique aussi, dans le final, quand Jen et le moine se dédoublent pour aller manger dehors alors qu'ils laissent leurs doubles devant la télé d'une chambre d'hôtel, comme si la vie était ailleurs. Comme si la société thaïlandaise actuelle tenait de l'illusion (le moine qui a peur de dormir seul au temple et finit par s'habiller en civil).

Film OP. Opiacé. Pas soporifique. Comme une boule d'opium anesthésie les sens pour ouvrir l'esprit à une autre sensibilité, un autre rapport au temps. Dilué ou étiré. Une autre temporalité. Un autre tempo. J'arrive au cinéma tout juste à l'heure, dans l'urgence, dans la vitesse. Le film commence dans le noir, dans le prolongement du noir de la salle, dans le noir du temps. Je suis encore dans le contre la montre, mon corps, mon esprit, dans la poursuite de l'horaire. Crash test. Crash time. Je me prends les premières minutes du film comme un mur. Je m'assoupis. Je lutte. Je m'endors une minute ou deux. Je me suis assoupli. Il m'inhale. Il y a une expression à la con qui dit à propos d'un film ou d'un livre « je suis ou je ne suis pas rentré dedans ». Il n'est pas question d'entrer ou pas dans Oncle Boonmee, c'est lui qui vous prend. Il est de ces films qui vous aspire et vous inspire. J'ai mis le triple de temps pour rentrer chez moi que pour en venir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire