ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



30 janvier 2013

Le Ciel peut attendre, pas un Lubitsch


Hier soir, premiers Lubitsch pour dernière séance du cycle Lubitsch à la Cinémathèque de Toulouse. 1914, 1916. Lubitsch acteur d'abord, dans L'Orgueil de la firme de Carl Wilhelm. Lubitsch devant et derrière la caméra dans Le Palais de la chaussure Pinkus. Pas du grand Lubitsch. Le prince de la comédie n'en est pas encore à la sophistication. Pas encore prince, mais il apprend les bonnes manières pour le devenir. Littéralement, puisque le personnage qu'il créé pour l'écran et qui le rendit célèbre à l'époque en Allemagne est un commis maladroit qui grimpe les échelons sociaux à la force des femmes qui le déniaisent et le coachent, jusqu'aux femmes du monde. Arriviste, mais sympathique. Ou l'inverse. Entre amoureux du beau sexe et gigolo à la recherche du bon mariage. Grimaçant, mal dégrossi, son personnage n'est pas très intéressant si ce n'est qu'il correspond aux codes comiques en vigueur dans la comédie courante de l'époque. En revanche on découvre déjà quelques éléments importants qui feront sa Touch. L'ironie, sociale et morale, la recherche de la complicité du spectateur par des adresses directes au public, et les portes. Que de portes. Même dans le premier qu'il ne dirige pas lui-même, le rapport au rideau ne peut venir que de lui. Une levée de rideau en quelque sorte.

29 janvier 2013

Mal vieillir

Il est fréquent de lire ici ou là dans des appréciations critiques, telles que dans les dictionnaires du cinéma de Tulard, "ce film a mal vieilli". Il est amusant de vérifier combien ces jugements eux-mêmes vieillissent mal. Le mal vieillir vieillit lui aussi. Et il n'est pas rare qu'un film qui a mal vieilli un temps se soit bonifié ensuite avec le temps. Ou pas. Par contre les jugements qui reposent sur cet argument, eux,  jamais ne vieillissent bien.

9 janvier 2013

Double programme (Ramrod / Forty Guns)


Femme de feu. André de Toth. 1947. Ramrod dans son titre original. Un western. Un western qui tient davantage du film noir. Avec sa femme fatale en la présence de la glaciale Veronika Lake. Un western de femme. Féminin. Pas encore féministe. L'histoire d'une femme prête à tout pour s'emparer d'une petite ville aux mains d'un caïd, un gros éleveur qui ne souhaite qu'une chose, l'épouser elle. Un caïd de cowboy qui veut lui donner la ville si elle consent à l'épouser. Elle, elle veut la ville, mais sans lui. Elle, elle veut lui arracher la ville des mains. Et pour cela, elle est prête à séduire tous les hommes des alentours. Surtout les renégats. À commencer par un misérable alcoolique dont elle fait son contremaître, rien moins que Joël McCrea. C'est le « ramrod » du titre original que le titre français vient lui disputer. L'homme fragile, mais droit, intègre. Elle, la vénéneuse, amorale, fatale. Comme le titre français, en accord avec lui pour une fois, on la préfèrera. Dans un monde de mecs, elle se bat avec ses armes. Et au duel, elle joue le duo. Pire qu'eux. Elle (les fait) dégaine(r) d'un battement de cils. Elle (fait) tue(r) avec son cul. Elle est la femme fatale, venue du film noir dans le western. Parce que la fin justifie les moyens, elle aura la main mise sur la ville. Parce que la morale doit être sauve, elle perdra l'amour. Une femme qui n'est pas sans rappeler celle qu'incarnera Barbara Stanwyck dix ans plus tard dans le Forty Guns de Sam Fuller. Elle la précède. Elle est la même, plus jeune, avide de pouvoir. Elle est la même, plus vieille, fatiguée du pouvoir. Double programme à voir l'un à la suite de l'autre. Portrait d'une femme à deux moments de sa vie. Portrait de femme scellé par le rapport à la nature et la manière des deux cinéastes à filmer leurs décors naturels. La nature qui refuse l'action chez de Toth. La nature qui annonce l'action chez Fuller.

2 janvier 2013

un serial peut cacher un killer

Nous sommes passés d'une année à l'autre sur la fin de la première saison de Game of Thrones, en suspend entre deux épisodes. À se demander comment ça allait se terminer, à vouloir savoir comment pourrait reprendre la deuxième saison. C'est fou ce que les séries ont d'excitation et de frustration. Les deux derniers épisodes, loin de clore une première partie, préparaient la deuxième. La prolongeaient plutôt. Comme s'il n'y avait pas eu de coupure. Ça faisait longtemps que je n'avais pas regardé de série, mais généralement, la fin d'une saison marque la fin d'une époque sur laquelle rebondira la deuxième avec de nouveaux personnages, souvent des secondaires qui passent au premier plan. Ici, rien ne marque le passage d'une saison à l'autre, sinon sa nomination arbitraire, comme le passage d'une année à l'autre. 1 à 2. 1 et 2. Mais fondamentalement rien ne change. On est dans une continuité. Même si de nouveaux personnages arrivent, complexifiant encore davantage une intrigue que l'on refuse de dénouer, multipliant les intrigues. On est davantage dans l'épique que dans le feuilleton. Dans la chanson de geste et son envers, revers du décorum. Excitation et frustration, la suite. Vite. On ne peut rester sans savoir. On ne peut rester sans confirmation de ce que l'on projette. Regarder une série, c'est jouer aux devinettes. Questions pour un champion sans la foutaise pseudo pédagogique. Addictif. À peine fini, on en veut un nouveau shoot.
Une autre série a vu le jour ces derniers jours, toute fraîche, une mini-série qui n'ira pas bien loin mais qui est fort amusante. Un sitcom davantage. Je veux parler de la joute entre Maraval et Toubiana à propos du financement du cinéma français et des cachets des acteurs. Depardieu, Torreton et Deneuve avaient déjà donné ce qui ressemble de plus en plus à la scène d'exposition de la crise du cinéma français. La sempiternelle. Ne manquent plus que l'entrée en scène de Pascale Ferran et Mathieu Kassovitz... On ne sait pas encore si ce sera un mélodrame ou une tragi-comédie. On attend une réaction du CNC.