ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



11 février 2013

Le secret derrière...


Retour sur une scène de Secret de femme. Il y a ce plan quand Maureen O'Hara donne sa version des faits. Elle se dirige vers Gloria Grahame et la caméra la suit en travelling, cadrée au niveau de l'épaule, sa nuque faisant office de bord cadre. Il y a le mouvement mais le cadre ne bouge quasiment pas. Le tout est pris dans une lumière expressionniste extrêmement contrastée, presque un film d'horreur, qui tranche avec la photo du récit que l'on a eu jusque là. Le film étant raconté en de multiples flashbacks constituant des témoignages, on se prend alors à penser que chacun d'entre eux fera l'objet d'un traitement esthétique particulier, par genre, comme pour souligner la fragilité du témoignage en général ; une question de point de vue plus que de vérité. Mais rien. Ce qui n'est pas plus mal, le film aurait alors tourné à l'exercice de style. Ce qui nous fait nous interroger sur ce plan isolé par rapport au reste du film. Il n'est certainement pas de Nicholas Ray. J’aime bien ce plan. Il est assez remarquable. Alors que Maureen O'Hara s'accuse d'avoir tiré sciemment sur Gloria Grahame (la scène illustre alors son récit), l'esthétique surtravaillée l'innocente. La parole est trahie par la forme visuelle, trop de détails dans le témoignage pour être sincère. Ou, la manière dont il nous est montré met en doute ce qui nous est montré. On retrouvera la même chose dans le Shutter Island de Scorsese où tout au long du film la photo dément le récit, où elle est véritablement éclairage, qui nous dit : regarde, ce que je te montre n'est qu'illusion. Le personnage, le narrateur, te ment.

4 février 2013

Fils de...



Secret de femme, 1949. Nicholas Ray n'aimait pas ce film, son deuxième, un film de commande. Il ne voulait pas le faire, mais il n'avait pas le choix. Il n'aimait pas ce film et il ne s'est pas gêné pour le dire. Aussi personne ne l'aime. Il faut l'aimer. Pas parce que c'est un film de Nicholas Ray. Parce que c'est un film bâtard. Au nom des films bâtards.

Secret de femme est un film sans auteur. Rejeté par son cinéaste. Reconnu malgré lui, pas voulu. Alors on en rejette la paternité sur son scénariste, un certain Herman J. Mankiewicz. Un scénario trop alambiqué qui repose sur une succession de flashbacks mal reliés entre eux. Un script mou et mal tricoté. Le bon Herman ne s'est pas foulé. Le bon Herman, le Mankiewicz qui a écrit Citizen Kane. Il n'aurait fait que reprendre la structure en flashbacks, la narration à tiroirs, qui a rendu célèbre Welles. Sans plus. Du réchauffé. Non, ce n'est pas la faute de Nicholas Ray, qui lui, serait un véritable auteur.
Ce serait oublier que la politique des auteurs est une politique de la natalité et que dans les histoires de lignées c'est toujours le bâtard le plus intéressant. C'est la bâtardise qui fait la lignée. Ne pas oublier que la politique des auteurs est née dans la caverne d'Ali Baba et les 40 voleurs. Ne pas oublier que Truffaut écrit avoir vu le film plusieurs fois avant de se décider à le défendre, et que de toute façon, il l'aurait défendu au nom de la politique des auteurs, parce que Becker est un auteur ; parce que la politique des auteurs est une question de mauvaise foi à assumer. La politique des auteurs n'est pas un gage de qualité, c'est signifier une écriture propre à un cinéaste, un style, singulier et identifiable de film en film, même et surtout dans le cinéma commercial ou de studio. La politique des auteurs, c'est dire qu'il n'y a qu'un seul auteur sur un film : le metteur en scène. C'est une réponse à la question qui agitait la cinéphilie des années 30, à savoir lequel du metteur en scène ou du scénariste est le véritable auteur d'un film ? Marcel Carné ou Jacques Prévert ? Les hitchcocko-hawksiens ont tranché en disant qu'un film s'écrit lors de la mise en scène. Cela ne veut pas dire qu'il faut écrire son propre scénario, qu'il faut tourner son scénario. Cela veut dire que l'on s'exprime avec la caméra et que l'on fait sien le matériau d'un autre. Cela veut dire que la qualité d'un film est dans la manière de traiter un sujet, plus que dans le sujet lui-même.
Cela veut dire aussi que si Nicholas Ray avait eu à tourner Citizen Kane, il en aurait fait un film banal. Pas parce que Welles est meilleur. Parce que ça ne l'aurait pas intéressé. Parce qu'il est différent de Welles. Parce que s'il y a des auteurs, Nicholas Ray est un cancre. À l'école des auteurs, il est le type au fond de la classe, contre le radiateur, celui qui regarde par la fenêtre. Capable d'un devoir brillant comme de rendre copie blanche. Pas le premier de la classe. Pas le besogneux. Pas l'idiot non plus. Le mutin. Sensible, écorché, fragile de ses certitudes. Et inconstant. Le type voué à l'échec. Le cancre intelligent, le looser magnifique. Celui qui veut réussir en s'affranchissant des règles. Nicholas Ray est ce mutin fragile du cinéma. Un auteur qui se rêve auteur sans respecter les règles. Sauf qu'à combattre les règles, ce sont toujours les règles qui gagnent. Ray l'aura compris pendant Les 55 jours de Pékin, cuvant son whisky, dit-on, dans un coin du plateau. Ici, encore jeune, rebelle adolescent, il préféra coucher avec Gloria Grahame la nuit qu'accoucher d'un film le jour. Elle est là, sa part d'auteur. Que l'on finisse par le confondre avec son oeuvre. Ou, l'important n'est pas ce que l'on réussit, mais ce que l'on rate.

30 janvier 2013

Le Ciel peut attendre, pas un Lubitsch


Hier soir, premiers Lubitsch pour dernière séance du cycle Lubitsch à la Cinémathèque de Toulouse. 1914, 1916. Lubitsch acteur d'abord, dans L'Orgueil de la firme de Carl Wilhelm. Lubitsch devant et derrière la caméra dans Le Palais de la chaussure Pinkus. Pas du grand Lubitsch. Le prince de la comédie n'en est pas encore à la sophistication. Pas encore prince, mais il apprend les bonnes manières pour le devenir. Littéralement, puisque le personnage qu'il créé pour l'écran et qui le rendit célèbre à l'époque en Allemagne est un commis maladroit qui grimpe les échelons sociaux à la force des femmes qui le déniaisent et le coachent, jusqu'aux femmes du monde. Arriviste, mais sympathique. Ou l'inverse. Entre amoureux du beau sexe et gigolo à la recherche du bon mariage. Grimaçant, mal dégrossi, son personnage n'est pas très intéressant si ce n'est qu'il correspond aux codes comiques en vigueur dans la comédie courante de l'époque. En revanche on découvre déjà quelques éléments importants qui feront sa Touch. L'ironie, sociale et morale, la recherche de la complicité du spectateur par des adresses directes au public, et les portes. Que de portes. Même dans le premier qu'il ne dirige pas lui-même, le rapport au rideau ne peut venir que de lui. Une levée de rideau en quelque sorte.

29 janvier 2013

Mal vieillir

Il est fréquent de lire ici ou là dans des appréciations critiques, telles que dans les dictionnaires du cinéma de Tulard, "ce film a mal vieilli". Il est amusant de vérifier combien ces jugements eux-mêmes vieillissent mal. Le mal vieillir vieillit lui aussi. Et il n'est pas rare qu'un film qui a mal vieilli un temps se soit bonifié ensuite avec le temps. Ou pas. Par contre les jugements qui reposent sur cet argument, eux,  jamais ne vieillissent bien.

9 janvier 2013

Double programme (Ramrod / Forty Guns)


Femme de feu. André de Toth. 1947. Ramrod dans son titre original. Un western. Un western qui tient davantage du film noir. Avec sa femme fatale en la présence de la glaciale Veronika Lake. Un western de femme. Féminin. Pas encore féministe. L'histoire d'une femme prête à tout pour s'emparer d'une petite ville aux mains d'un caïd, un gros éleveur qui ne souhaite qu'une chose, l'épouser elle. Un caïd de cowboy qui veut lui donner la ville si elle consent à l'épouser. Elle, elle veut la ville, mais sans lui. Elle, elle veut lui arracher la ville des mains. Et pour cela, elle est prête à séduire tous les hommes des alentours. Surtout les renégats. À commencer par un misérable alcoolique dont elle fait son contremaître, rien moins que Joël McCrea. C'est le « ramrod » du titre original que le titre français vient lui disputer. L'homme fragile, mais droit, intègre. Elle, la vénéneuse, amorale, fatale. Comme le titre français, en accord avec lui pour une fois, on la préfèrera. Dans un monde de mecs, elle se bat avec ses armes. Et au duel, elle joue le duo. Pire qu'eux. Elle (les fait) dégaine(r) d'un battement de cils. Elle (fait) tue(r) avec son cul. Elle est la femme fatale, venue du film noir dans le western. Parce que la fin justifie les moyens, elle aura la main mise sur la ville. Parce que la morale doit être sauve, elle perdra l'amour. Une femme qui n'est pas sans rappeler celle qu'incarnera Barbara Stanwyck dix ans plus tard dans le Forty Guns de Sam Fuller. Elle la précède. Elle est la même, plus jeune, avide de pouvoir. Elle est la même, plus vieille, fatiguée du pouvoir. Double programme à voir l'un à la suite de l'autre. Portrait d'une femme à deux moments de sa vie. Portrait de femme scellé par le rapport à la nature et la manière des deux cinéastes à filmer leurs décors naturels. La nature qui refuse l'action chez de Toth. La nature qui annonce l'action chez Fuller.

2 janvier 2013

un serial peut cacher un killer

Nous sommes passés d'une année à l'autre sur la fin de la première saison de Game of Thrones, en suspend entre deux épisodes. À se demander comment ça allait se terminer, à vouloir savoir comment pourrait reprendre la deuxième saison. C'est fou ce que les séries ont d'excitation et de frustration. Les deux derniers épisodes, loin de clore une première partie, préparaient la deuxième. La prolongeaient plutôt. Comme s'il n'y avait pas eu de coupure. Ça faisait longtemps que je n'avais pas regardé de série, mais généralement, la fin d'une saison marque la fin d'une époque sur laquelle rebondira la deuxième avec de nouveaux personnages, souvent des secondaires qui passent au premier plan. Ici, rien ne marque le passage d'une saison à l'autre, sinon sa nomination arbitraire, comme le passage d'une année à l'autre. 1 à 2. 1 et 2. Mais fondamentalement rien ne change. On est dans une continuité. Même si de nouveaux personnages arrivent, complexifiant encore davantage une intrigue que l'on refuse de dénouer, multipliant les intrigues. On est davantage dans l'épique que dans le feuilleton. Dans la chanson de geste et son envers, revers du décorum. Excitation et frustration, la suite. Vite. On ne peut rester sans savoir. On ne peut rester sans confirmation de ce que l'on projette. Regarder une série, c'est jouer aux devinettes. Questions pour un champion sans la foutaise pseudo pédagogique. Addictif. À peine fini, on en veut un nouveau shoot.
Une autre série a vu le jour ces derniers jours, toute fraîche, une mini-série qui n'ira pas bien loin mais qui est fort amusante. Un sitcom davantage. Je veux parler de la joute entre Maraval et Toubiana à propos du financement du cinéma français et des cachets des acteurs. Depardieu, Torreton et Deneuve avaient déjà donné ce qui ressemble de plus en plus à la scène d'exposition de la crise du cinéma français. La sempiternelle. Ne manquent plus que l'entrée en scène de Pascale Ferran et Mathieu Kassovitz... On ne sait pas encore si ce sera un mélodrame ou une tragi-comédie. On attend une réaction du CNC.



30 décembre 2012

Bonderie (Skyfall 2)


Un re-Bond. Un rebond. Une matière qui rebondit. On l'a vu, Skyfall reforme la famille Bond. Sans la mère. On se demande s'il ne réforme pas au passage le célèbre agent. Avec cette mise en place d'un nouveau M masculin, d'un nouveau Q, d'une nouvelle Moneypenny, avec son Aston Martin, et un James Bond ressuscité, ou du moins renaissant, Skyfall a tout du reboot.
Casino Royal en était déjà un, introduisant un nouvel interprète, Craig, mais donnant surtout à voir Bond gagner ses doubles zéro, son permis de tuer. C'était il n'y a pas si longtemps. En 2006. Et le voici qui échappe de justesse à la mise à la retraite. Si jeune, si vieux - ce qui pourrait être le titre d'un prochain opus. Le problème de Bond, c'est qu'elle tourne en boucle. Pas le personnage. La série. Oh, quoiqu'on en dise, le personnage tient bon, il a la forme. C'est l'autre forme qui pose question. Celle de la narration de ses aventures. Elle voudrait se renouveler. Les cinéastes qui la prennent au bond voudraient s'en libérer, s'en affranchir. Mais c'est qu'elle est coriace, tenace. Extrêmement codée. C'est que James Bond est un genre à lui tout seul. Un genre codifié auquel on ne peut échapper, ni le cinéaste, ni le personnage.
Quantum of Solace avait essayé lorgnant du côté de Jason Bourne, qui lui-même lorgnait du côté de James en mode davantage « actioner ». Entre Big Jim et Ocedar dépoussiérant, Jason avait séduit. Mais ce qui prenait avec Bourne, ne prend pas avec Bond. Et Quantum of Solace fut boudé. Trop action, trop yamakasi. Peut-être, simplement un méchant trop insipide ; car à tous les coups, c'est le méchant qui fait la saveur d'un bon Bond. Skyffall revient alors aux racines, il ramène Bond a ses origines, celles du personnage, littéralement ; celles d'un « 007 picture », formellement ; il lui donne une nouvelle virginité.
Skyfall n'est pas un reboot du personnage, comme l'était Casino Royal. Il est un reboot de la série. Skyfall est un reboot de l'ancienne version. Une préparation plutôt à ce reboot. Un pré-reboot en quelque sorte, nous laissant à la fin avec tous les ingrédients originaux d'un Bond à l'ancienne, prêts à l'emploi. Parce que Bond tourne en rond. Prisonnier de lui même et de son univers. Prisonnier, comme la série britannique du même titre (Le Prisonnier) qui voyait un espion enfermé dans un village cocon duquel il essayait constamment de s'évader. - I'm not a number, I'm a free man. - You are number 007.
Et sous ses airs de renouveau, Skyfall prépare au retour en arrière. Certes il n'y a pas de gadget et une réplique se charge de le surligner, mais c'est parce que le prochain, j'en prends le pari, en sera bourré. Parce qu'ôter ses gadgets à James Bond, c'est le plonger dans le monde réel. Or, il ne connaît pas ce monde. James Bond court après le vieux monde. Celui de la guerre froide. Ou plutôt, celui de la coexistence pacifique. Et encore, en fuyait-il déjà les enjeux, préférant s'inventer la menace fantaisiste d'un Spectre qui n'avait rien de celui qui hantait alors l'Europe depuis que Marx et Engels l'avaient nommé.
Pour aller au bout de sa propre logique, Bond, donc, devrait retourner dans les années 60. Le prochain James Bond devrait être une reconstitution, un film historique. Mais un code incontournable du genre l'en empêchera toujours : le placement de produit, sans lequel James ne serait pas Bond, James Bond. Un VRP qui se doit de sentir bon l'eau de Cologne de papy. Un VRP qui nous vend toujours de l'ancien comme du neuf, toujours le même objet sous un packaging modernisé. Un représentant de commerce dont on connaît par coeur les produits et le discours, mais dont on n'accepterait pas de lui qu'il en changeât. 
On le sait, il n'y a rien de nouveau dans un Bond, mais à chaque fois on veut le nouveau. Et on le veut jusqu'à la dernière miette, comme les popcorns dont on ne se rassasie jamais, même quand on gratte le fond du pot et que l'on fait chier ses voisins de rangées. À part ça, ce n'est qu'un James Bond, comme le Woody Allen annuel, pas de quoi se prendre la tête.