ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



31 janvier 2011

What else ? (Green Hornet 1)

Va comprendre Charles, quand j'entends Frelon vert je pense immédiatement aux Cramps. Aussitôt les rythmiques de l'Human Fly viennent se greffer au générique de la célèbre série et et je finis par bourdonner comme une mouche prise au piège d'un verre renversé. Tu me diras Charles, avec des lunettes 3D vissées sur la tronche t'as vite fait d'attraper une gueule de mouche. Et pour peu que tu regardes autour de toi, tu remarqueras que tu n'es pas seul à te prendre pour Argus. Manquerait plus qu'à comparer la pelloche à du ruban tue-mouche – ça n'en est pas loin du tout – et te voilà prêt à jouer les mouches à merde. Ainsi donc, nous sommes allés voir The Green Hornet. Pour Kato, pour Gondry. La 3D n'a que l'intérêt qu'y voient les décideurs hollywoodiens, celle du ruban tue-mouche. Le film de Gondry, lui, allait bien avec la musique des Cramps qui n'arrêtait pas de me chatouiller entre les oreilles. Une bonne envie de tout casser. Et il ne s'en prive pas le Michel, hein Charles ? Il aime bien tout péter les jouets qu'on lui a donné. Il s'offre même une scène de Kato-Clouseau où les deux compères ravagent entièrement l'appart pour savoir lequel des deux est le superhéros ou plutôt lequel des deux sera l'acolyte du superhéros. C'est la trouvaille du film. Non seulement le prétendu sidekick est le véritable héros (la série nous avait déjà fait le coup avec Bruce Lee), mais il se rebelle le bougre. Fini de faire le café pour Monsieur, hein Alfred ?! Euh, Charles. Ça sent la lutte des classes dans le monde merveilleux des superhéros. Ça sent la bonne vieille révolte de classes. Mais si la dialectique a pu casser des briques en son temps, oui Charles ce détournement situationniste des 70's, ici elle se contente de casser des écrans plasma. Ou quand les rapports de classes seraient sur le point de s'inverser, au nom de l'amitié ou d'un amour homo délarvé, c'est le grand capital qui l'emporte. Exit le Lénine masqué. Retour du masqué lénifiant. En gros : je suis un bouffon mais j'ai le pognon. Tu as du talent mais pas d'argent. Alors je finance tes idées et on est associé. En quelque sorte. Tu fais le travail et je suis le patron. Ce qui me ferait dire qu'avec The Social Network, The Green Hornet est le film le plus franchement capitaliste de ces derniers mois. Bon, chez Fincher, c'est le côté « la réussite pour tous » et le petit génie en Scholl air qui fait la nique aux frangins de bonne famille old school. Presque révolutionnaire en soi. Complètement révolutionnaire même, dans la logique capitaliste. Du côté du Frelon vert par contre, on est davantage dans le capitalisme à papa, presque un capitalisme à visage humain pour reprendre la formulation 60's d'un socialisme printanier, mais qui cache mal un bon vieux relent paternaliste. Conservateur, le Frelon vert ? Certainement. Voire réactionnaire, si l'on considère la nationalité du metteur en scène et le revirement du film vis-à-vis de la décollation. Et oui, Louis, euh Charles, si l'on a pu se réjouir de la décapitation, celle du superhéros, celle du père, on a fini par la lui ressouder sa tête. Bref, on a eu plein d'explosion, on a cru à une révolution, mais on a eu un 14 juillet, un feu d'artifices. Après tout, c'est déjà pas mal et on en n'attendait pas plus - sinon on serait aller voir un Straub. N'est-ce pas Charles ? Et puis on s'est bien marré, hein ? Allez, vous pouvez disposer maintenant. Euh, non, apportez-moi un nespresso avant.

25 janvier 2011

Monte Lola, monte

Du coq à l'âne en jouant à saute-mouton, comme les cailloux du Petit Poucet, Les Désemparés m'ont mené à Lola Montes, d'Ophuls à Lang via le scope. Le Cinémascope. Un format, disait le père Lang, « seulement bon pour filmer les enterrements et les serpents ». Max Ophuls l'utilisera pour son dernier film, seul film en couleurs aussi. Son premier et dernier film en scope-couleurs. Un enterrement si l'on veut, mais en rien reptilien. Ophuls joue avec ce format étiré, le brise et le recompose. Avec le cinémascope et son art de disposer un objet devant l'acteur ou entre deux acteurs, brisant le cadre, ou jouant de la même manière avec la profondeur de champ, Ophuls quelque part a inventé le split screen. Se rappeler la scène où Lola se fait servir un verre d'eau sur la droite du plan pendant qu'au fond, occupant la gauche du cadre, sa mère négocie son mariage avec un vieil aristo. Lola est hors champ. Un léger pano et quand la caméra revient sur elle, elle a disparu, en fuite. (je crois me souvenir, scène à revoir pour s'en assurer). Bref, Ophuls, c'est certain, possède l'intuition du split screen. Il fait surtout de cette horizontalité qui déplaît tant à Lang, un vecteur de verticalité, un format aérien, un format d'élévation qui éclaire superbement ce que Claude Beylie appelait le plafond de la chapelle Sixtine du cinéma moderne. Chez Ophuls, le cinémascope est un ascenseur.

21 janvier 2011

Du H

Retour sur Les Désemparés de Max Ophuls qui m'avait laissé... désemparé. Mais ne cesse de me hanter depuis. Le véritable manque, en réalité, n'est pas tant ce « e » que j'ai cru voir dans le titre. Le véritable manque, c'est le « H » à Ophuls dans le générique, qui a disparu. Ce qui nous donne Opuls. (curieux de trouver une telle faute au générique et surtout au nom du réalisateur – j'ai vérifié deux fois, elle est bien là). De Ophuls à Opuls, avec le « H » on a perdu du souffle, ce souffle ophulsien peut-être qui fait défaut au film. De Ophuls à Opuls, on est passé du [fe] à un [pe] qui sonne comme une explosion ; sans le souffle. Qui sonne comme une occlusion. 
Bref, retour sur un film qui laisse un peu sur sa faim et ne cesse pourtant d'aller et venir après coup. Un film qui tourne en rond dans votre tête, qui tourne en boucle. C'est le personnage de Joan Bennett qui tourne en rond. Comme un lion en cage. Comme une lionne plutôt. Puisque son mari étant absent, à l'étranger, comme dans la société des lions, c'est elle qui gère toute la famille, des comptes à la liste des courses, à se rendre dans un hôtel miteux pour dire ses quatre vérités à l'escroc qui abuse de l'innocence de sa fille. Jusqu'à se débarrasser du corps du dit escroc pour protéger l'innocence de sa fille qu'elle croit coupable de l'avoir tué. La cage bien sûr, c'est le dernier plan, quand au téléphone avec son mari, en pleurs, Ophuls la filme de derrière les barreaux d'escaliers. Les barreaux métaphoriques de la culpabilité. Pas tant celle dont elle devrait rendre des comptes devant un tribunal que celle de sa conscience. Et qui la poursuivra toute sa vie. Condamnée à perpétuité. Mais Ophuls n'a pas attendu ce dernier plan pour la mettre en cage. Tout le long du film il joue avec ces barreaux d'escaliers et avec l'intérieur de la maison qu'il filme comme une prison qui se referme. Et à travers ses plans séquences, il capte le mouvement, les mouvements de son personnage féminin qui sont constamment des allers-retours dans le plan. Comme une lionne tourne en cage.
Si Ophuls est un cinéaste de l'élégance et de la grâce, il est aussi un cinéaste de la femme. Prisonnières du paraître, elles sont obligées d'être dans les convenances. Obligées de paraître ce qu'on attend d'elles, de se conformer à l'image qu'on leur impose. Obligées de trahir et sauver les apparences. Réduites au paraître quand elles endossent tout l'être. Et, ici, cette femme désemparée, c'est déjà Madame de... C'est déjà Lola Montes. Lola Montes, la femme sauvage comme un pur sang, que l'on a domptée et que l'on exhibe sous le chapiteau d'un cirque à coups de fouet. Ici, elle est encagée. Encagée dans une idée de la famille idéale qui n'est qu'une illusion et s'effrite et se désagrège tout le long du film. Une lionne en cage qui découvre la cage. Une lionne en cage qui prend conscience qu'elle est en cage. Mais pas encore qu'elle est une lionne. Cela sera pour la suite. Pour Madame de... Pour Lola Montes qui sera le sommet qui boucle la boucle ; la conscience d'être une lionne. Et toujours en cage.

17 janvier 2011

No Trepassing

"La carrière d'une star commence quand elle ne peut pas entrer dans son soutien-gorge et finit quand elle ne peut plus entrer dans sa jupe", aimait à rappeler Orson Welles. Cruelle vérité que l'on imaginera délivrée avec son brin de cynisme. Fellini, autre magicien des vérités et mensonges, en fait un moment d'émotion où la mélancolie, la beauté de l'instant - présent, passé ou perdu, mais immortel - l'emporte sur la plastique du corps et les outrages du temps.

15 janvier 2011

Désemparé

Hier avec Chérie on s'est fait Les Désemparés de Max Ophuls. Excitation. Un Ophuls jamais vu. Un Ophuls noir. Son film perdu, le film que lui-même avait oublié – bon, ça c'est pour faire mousser, pour le savant cinéphile gardien du temple et pour vendre du dvd : « le plus grand film perdu de Max Ophuls », inscrit Carlotta sur sa jaquette, ça en jette. On n'est pas dupe, mais ça marche. Parce qu'on veut toujours y croire. Parce qu'on a besoin d'y croire. Alors on l'a espéré ce film et on a enfourné la galette dans le lecteur, certain d'avoir la fève. Déception. Bizarre déception, que je ne saurai expliquer. On a bien du film noir. Et on a bien du Max Ophuls. Ce qui donne un curieux mélange. Carrément original même. Du mélo noir. Mais je ne sais pas pourquoi, il manque quelque chose. Il y a bien l'éclairage expressionniste du film noir. Il y a bien les travellings d'Ophuls ; malgré les petit budget et blitz tournage que l'on sent bien. Il y a de remarquables petits plans séquences. Et il y a la femme. De tous les plans, moteur de l'action ; ophulsienne. Non, en fait elle n'est absolument pas ophulsienne cette femme. Mais ce n'est pas ça qui manque. Joan Bennett est même très bien dans le rôle d'une lointaine petite cousine de Joan Crawford. Et James Mason est parfait d'ambiguïté dans son rôle de maître chanteur amoureux de sa victime. En fait, si l'on excepte la scène d'altercation entre Bea et Darby (scène qui ne marche pas du tout et à laquelle une ellipse aurait été préférable) tout concoure à faire de ses Désemparés un bon petit film, mais ça ne prend pas. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas quoi. Il manque quelque chose. Peut-être un "e" au titre français pour commencer ; parce qu'ici ce sont uniquement les personnages féminins qui paraissent désemparées.

13 janvier 2011

5 janvier 2011

Au Dupieux les p'tits vieux

Déjanté, gonflé, à plat... les clins d'œil et appels du pied à l'imagerie du pneu ne manquent pas quand on parle du dernier film de Quentin Dupieux. À croire que l'argument se suffit à lui-même. Une histoire de pneu assassin. Mais on aurait tort d'aller trop vite et de résumer le dit Rubber à l'histoire d'un pneu tueur filmée avec un appareil photo par un drôle de zozio qui a fait un carton dans les années 90 avec un morceau d'électro minimaliste repris pour une pub de Levis. Approche dossier de presse. Merci.
L'intérêt du film en réalité est moins dans le pneu que dans le tricycle ; dans ce plan final, après que le pneu a été tué, où le tricycle (ou cycle de trois comme le nombre de films réalisés par Dupieux), entraînant derrière lui une armée de pneus, s'arrête au milieu d'un virage et lance un regard de défi aux grandes lettres blanches HOLLYWOOD qui surplombent la vallée du cinéma. Genre c'est vous les prochaines victimes. Alors Rubber revêt la forme pamphlétaire qu'il a esquivée jusque là. Alors, il donne du sens à une entreprise qui jusque là réfutait toute raison. Parce que le « no reason » du prologue est bien gentil, il est bien fun, cool Raoul, il ne va pas très loin et rime plutôt avec « à quoi bon ». À quoi bon faire un film s'il n'y a pas de raison à cela ? Il n'y en a peut-être pas pour le spectateur qui (doit) accepte(r) que le personnage principal soit un pneu, finalement comme il accepte que Schwarzy soit un terminator ou Orson Welles un magnat de la presse. Il y en a une en revanche pour Dupieux qui doit animer (donner une âme à) un objet inanimé. Le « No Reason », c'est encore une raison. Et la raison ici, c'est celle du cinéma. Celle d'un cinéma qui refuserait d'empoisonner ses spectateurs. Un antidote au cinéma hollywoodien, le retour d'une idée de cinéma véritablement indé, voire, étant donné la nationalité du film, une volonté d'alternative, enfin, à ce cinéma français dit d'auteur et qui nous emmerde avec ses honorés et autres Christophe. Rubber marque cette volonté, ce désir, mais il n'est pas encore cette alternative. Il en est la formulation qui fait espérer le prochain film de Dupieux. En attendant, il nous rappelle le célèbre adage de Lubitsch : filmer des montagnes, quand vous aurez appris à filmer la nature, vous saurez filmer les hommes. Le Nonfilm était, disons, un film qui n'existe pas. Steak était un film où les personnages passent la moitié du temps le visage bandé. Ici, Dupieux a fini de se faire les dents sur un pneu, passant du documentaire animalier (toutes les premières images du pneu filmé comme un faon à la naissance) au road movie existentialiste quand Robert, c'est le nom du pneu, assis dans le fauteuil d'une chambre de motel, regarde à la télévision une course d'Indy car. Prochaine étape : filmer les hommes. Alors, vivement le prochain Dupieux. Du neuf, bordel. Du nouveau.
Du Dupieux.