ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



21 janvier 2011

Du H

Retour sur Les Désemparés de Max Ophuls qui m'avait laissé... désemparé. Mais ne cesse de me hanter depuis. Le véritable manque, en réalité, n'est pas tant ce « e » que j'ai cru voir dans le titre. Le véritable manque, c'est le « H » à Ophuls dans le générique, qui a disparu. Ce qui nous donne Opuls. (curieux de trouver une telle faute au générique et surtout au nom du réalisateur – j'ai vérifié deux fois, elle est bien là). De Ophuls à Opuls, avec le « H » on a perdu du souffle, ce souffle ophulsien peut-être qui fait défaut au film. De Ophuls à Opuls, on est passé du [fe] à un [pe] qui sonne comme une explosion ; sans le souffle. Qui sonne comme une occlusion. 
Bref, retour sur un film qui laisse un peu sur sa faim et ne cesse pourtant d'aller et venir après coup. Un film qui tourne en rond dans votre tête, qui tourne en boucle. C'est le personnage de Joan Bennett qui tourne en rond. Comme un lion en cage. Comme une lionne plutôt. Puisque son mari étant absent, à l'étranger, comme dans la société des lions, c'est elle qui gère toute la famille, des comptes à la liste des courses, à se rendre dans un hôtel miteux pour dire ses quatre vérités à l'escroc qui abuse de l'innocence de sa fille. Jusqu'à se débarrasser du corps du dit escroc pour protéger l'innocence de sa fille qu'elle croit coupable de l'avoir tué. La cage bien sûr, c'est le dernier plan, quand au téléphone avec son mari, en pleurs, Ophuls la filme de derrière les barreaux d'escaliers. Les barreaux métaphoriques de la culpabilité. Pas tant celle dont elle devrait rendre des comptes devant un tribunal que celle de sa conscience. Et qui la poursuivra toute sa vie. Condamnée à perpétuité. Mais Ophuls n'a pas attendu ce dernier plan pour la mettre en cage. Tout le long du film il joue avec ces barreaux d'escaliers et avec l'intérieur de la maison qu'il filme comme une prison qui se referme. Et à travers ses plans séquences, il capte le mouvement, les mouvements de son personnage féminin qui sont constamment des allers-retours dans le plan. Comme une lionne tourne en cage.
Si Ophuls est un cinéaste de l'élégance et de la grâce, il est aussi un cinéaste de la femme. Prisonnières du paraître, elles sont obligées d'être dans les convenances. Obligées de paraître ce qu'on attend d'elles, de se conformer à l'image qu'on leur impose. Obligées de trahir et sauver les apparences. Réduites au paraître quand elles endossent tout l'être. Et, ici, cette femme désemparée, c'est déjà Madame de... C'est déjà Lola Montes. Lola Montes, la femme sauvage comme un pur sang, que l'on a domptée et que l'on exhibe sous le chapiteau d'un cirque à coups de fouet. Ici, elle est encagée. Encagée dans une idée de la famille idéale qui n'est qu'une illusion et s'effrite et se désagrège tout le long du film. Une lionne en cage qui découvre la cage. Une lionne en cage qui prend conscience qu'elle est en cage. Mais pas encore qu'elle est une lionne. Cela sera pour la suite. Pour Madame de... Pour Lola Montes qui sera le sommet qui boucle la boucle ; la conscience d'être une lionne. Et toujours en cage.

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