ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



6 décembre 2012

Canada dry (Argo)


Vu Argo de Ben Affleck. Film du dimanche. À voir le dimanche soir, fatigué de la cuite de la veille, pour se tenir un oeil à demi éveillé avant d'aller se coucher. Très bon sujet. Mais script fainéant. Mise en scène sans imagination, et même mollassonne malgré ses permanents petits mouvements de caméra, plans serrés, pour faire illusion. Attendue, jusque dans le final au suspens haletant. Trop haletant. Trop tendu pour la situation. Écriture et mise en scène ordinaires. Tout est dans le sujet de départ. Même si Argo se laisse voir. Sans jamais être extraordinaire. Malgré son sujet. Ou à cause de son sujet. La CIA qui monte la production d'un faux film de SF pour exfiltrer du personnel diplomatique pendant la crise des otages en Iran, ça accroche. Affleck s'en est contenté. Il a peaufiné le grain de son image, cherché des moustaches aux surplus des 70's et revu ses Pakula et Lumet. Reconstitution et engagement. Reconstitution de l'engagement du cinéma américain des années 70. Affleck a pourtant choisi le compromis. En ne choisissant pas justement. Quel est son point de vue ? Celui des otages ? Sur les otages ? Celui de la CIA ? Sur un agent de la centrale ? Celui de l'industrie du cinéma qui travaille pour la CIA ?. Malgré le verni il a joué la compromission. Celle de l'empathie avec les otages, qui se comprend, celle, plus énervante, de la sympathie pour la CIA qui n'en finit pas de s'auto-congratuler et regrette de devoir classer secret défense ce maître coup. Cette même CIA experte en coups tordus tus. Cette même CIA qui, sur cette même crise des otages en Iran, a négocié en sous-main avec Khomeini la détention des otages jusqu'à la fin des élections présidentielles, histoire d'éjecter Carter et s'assurer la victoire de Reagan. Les véritables rapports entre le cinéma et l'agence sont là. L'acteur qui veut être président et la mise en scène de la libération des otages. Le reste n'est que du Canada Dry. Comme le cinéma de Ben Affleck. Ça a la couleur du cinéma. Ça a le goût du cinéma. Mais ce n'est pas du cinéma. The Town avait déjà ce goût là, mais ce n'était qu'un petit polar. Alors qu'Argo affiche d'autres ambitions, mal assumées, ou offrait du moins des voies qui ont été évitées. Celles du thriller politique, à la manière de La Taupe ; ce qu'il n'est pas. Il aurait fallu pour cela circonscrire l'action au huis clos des otages réfugiés dans l'ambassade du Canada. Ou les laisser à leur sort pour se focaliser sur la CIA. Ou jouer la carte de l'humour décalé en restant à Hollywood sur le montage d'une fausse production. Il aurait fallu, soit l'empathie maîtrisée de Spielberg, soit le cynisme énervé de Spike Lee, soit l'ironie sardonique des frères Coen. On a le creux d'un Ron Howard, tendance indé. On a un bon sujet pas exploité, comme le Edgar de Clint Eastwood ; il est vrai, la sénilité en moins.

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