ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



5 août 2010

Un mot en passant

C'était un dimanche. Je cherchais une bande dessinée à lire sur le canapé. Il n'y avait rien qui me disait. Rien pour aller avec ce dimanche après-midi là. Il faut vraiment que j'enrichisse ma bibliothèque bd, étais-je en train de me dire. Quand je tombais sur deux ouvrages oubliés de Battaglia. Des cadeaux du père Monguy. Battaglia raconte Guy de Maupassant. 1 et 2. Je les ai engloutis. Ou plutôt, ils m'ont englouti. Il fallait que j'aille direct à la source. Hier soir j'ai fini de relire en vrac quelques contes et nouvelles de Maupassant. Du Borges avant l'heure. Du Borges + Flaubert, me répondait tout à l'heure Régis - certainement la meilleure définition. Un certain réalisme magique – paradoxalement - très sud-américain. Et un art certain de la narration, de toucher, à travers de petits détails et sur un récit très court, quelque chose d'impalpable. J'ai fini, hier soir, par Qui sait ?, l'histoire d'un narrateur sain d'esprit qui raconte comment il est allé de son propre gré se reposer dans un asile après avoir vu ses meubles, tous ses meubles, quitter sa maison. L'histoire en quelque sorte d'une possession marquée par une dépossession. J'aime bien cette idée. Et m'interrogeais: la possession (être possédé, par un esprit) ne serait-elle pas plutôt une dépossession ; de la (de sa) raison ? Bref, peu importe. Ce qui m'a frappé ici, à cette lecture, c'est plutôt le caractère faussement cinématographique d'un Maupassant qui en réalité est complètement inadaptable au cinéma. Alors que pourtant, de prime abord, il a tout ce que pourrait espérer un scénariste. Je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais vu un film tiré d'une oeuvre de Maupassant, mais, est-ce la faute de Battaglia, c'est une oeuvre que je ne puis désormais imaginer avec des images en mouvement, voire même avec du son. Ou alors un seul plan fixe. Car seule une image fixe peut rendre ce fantastique du quotidien. Ou plutôt, fixer une image. Comme un tableau, jusqu'à qu'il nous délivre un secret. Comme un mur ou un plafond, jusqu'à ce que l'invisible y fasse son apparition.

1 commentaire:

  1. Cela me fait penser à ce que disait Todorov du genre fantastique : d'un côté, il y a l'"étrange", typiquement "Double assassinat dans la rue Morgue", où un événement défiant la raison trouve finalement une explication rationnelle (Le gorille si ma mémoire est bonne, mais elle ne l'est pas) ; de l'autre "le merveilleux", typiquement "Les mille et une nuits", où fleurissent les tapis volants, génies, etc. Entre les deux, précisément, le fantastique, que Todorov caractérise en le faisant correspondre à ce moment d'hésitation du personnage/narrateur, et du lecteur, sur l'assignation de l'événement a-normal à l'un des deux régimes, étrange ou merveilleux : finalement, pas de substance du fantastique, juste une frontière, et une question.

    Des films dits "fantastiques", en réalité merveilleux, on en a des tonnes, les effets spéciaux les servent à merveille ; mais des films fantastiques dans la conception de Todorov, y en a-t-il beaucoup ? "Lemmings" de Moll correspond assez bien à ce que cela pourrait être, certains Lynch aussi.
    Mais peut-être effectivement que ce moment d'interrogation est finalement davantage pictural que filmique.

    RépondreSupprimer