ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



16 mars 2011

Dude n'est pas Duke (True Grit 1)

True Grit est un bon film. Bon beh voilà. Merci. True Grit fait partie de ces films dont on n'a rien d'autre à dire qu'ils sont bons. Y-a-t-il autre chose à en dire ? Les professionnels de la profession (les critiques, plus communément aujourd'hui journalistes de cinéma) et les amateurs de la profession amateurs professionnels (les blogueurs qui veulent écrire comme dans les journaux) diront que Jeff Bridges est époustouflant en marshal acariâtre porté sur la bouteille. Ils diront aussi que la jeune actrice qui interprète Mattie est incroyable. Et ils auront raison ; même si tels émerveillements, tels étonnements, avec leurs cohortes d'adjectifs, finissent par tourner à la rengaine. Ils auront raison, mais à la fois, un film bien fait, avec de bons acteurs qui jouent bien, c'est un peu la base de la plupart des films... Alors, certains parleront d'un revival du western. Les frères Coen ressuscitent le western, comme l'écrit Thomas Sotinel dans Le Monde. J'adore l'esprit « phénix » du journalisme de cinéma qui trouve toujours à faire renaître le cinéma de ses cendres. Le problème, c'est que ça tourne à la mémoire de poisson rouge : « Kevin Costner ressuscite le western », titrait François Forestier il y a un peu moins de dix ans dans Le Nouvel Obs, à propos d'Open Range, parfait western de 2003, dans la lignée des classiques du genre et quasiment passé inaperçu à l'époque. Mais il est vrai que Costner se traîne une bonne réputation de has been et qu'il est de meilleur ton de dire « j'ai vu le dernier film des frères Coen » que « j'ai vu un très bon western réalisé par Kevin Costner »... On notera au passage que désormais, depuis que Clint Eastwood en a signé le coming out avec Impitoyable, tout nouveau western est un revival du genre ; sans la suite, sans la série de films qui en ferait véritablement un revival. Bref, pour en revenir à ce True Grit qui manque tout de même de guts, « l'expression galvaudée « jouer avec les codes » sert souvent à excuser le manque de respect, voire de connaissance, de cinéastes qui s'aventurent dans un genre cinématographique. Les Coen, eux, jouent des codes comme un virtuose joue du violon... », poursuivait Sotinel. Et je me permettrais de lui filer la métaphore : si musicien, si virtuose, reste que c'est le compositeur qui fait la musique, qui en a écrit la partition. Et l'on préfèrera toujours ceux qui (ré)écrivent les codes à ceux qui en jouent. Leur partition de western, même s'ils s'en défendent et même si dans celui-ci il y a toute la panoplie, les Coen l'ont davantage écrite, dans l'esprit, avec No Country for Old Men. Ici, effectivement, ils jouent les musiciens. Ils nous prouvent qu'ils maîtrisent les co(r)des du violon, sans en tirer les ficelles. C'est que Dude n'est pas Duke. Non pas qu'il faille jouer au jeu des 7 erreurs avec la version d'Hathaway (voir tout de même à ce propos l'article d'Alain Masson dans le Positif 601), mais parce que John Wayne est la figure du western, il est le western. Et quand il joue ce vieux marshal borgne en 1969, c'est tout le western classique qu'il incarne, défait, dépassé, anachronique, au crépuscule. Borgne comme les fameux cinéastes qui ont donné à Hollywood ses lettres de noblesses, face à une jeune fille de caractère qui représente une nouvelle génération : le Nouvel Hollywood. En 1969, Easy Rider (1968) avait déjà sonné la charge d'une nouvelle chevauchée fantastique et comme un clin d'œil sardonique, dans 100 dollars pour un shérif c'est Dennis Hopper qui joue le type qui se fait couper les doigts dans la cabane. Hathaway s'intéressait davantage à Cogburn qu'à la jeune fille et terminait son film par une image fixe du Duke, comme une icône. Les héros sont vieux mais immortels. Les Coen, eux, aujourd'hui où le western n'a plus aucun enjeu, s'intéressent davantage à la jeune fille et terminent leur film, après une ellipse, par un plan fixe qui la regarde, âgée, s'éloigner longuement de la tombe du héros. Comme le western, les héros sont morts et la jeunesse a vieilli, seule. Il y a de la mélancolie dans ce plan final, comme dans tout le film d'ailleurs, qui se joue entre deux cercueils (de la figure paternelle). Et c'est peut-être là la véritable révélation de ce film. Moins le désir de ressusciter le western que de s'inscrire dans un genre moribond. La mélancolie de la vieillesse. Les frères Coen ont vieilli.

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