ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



2 mars 2011

Bison, vous avez dit bison ? Comme c'est bison...

Après le frelon, le bison. Après le vert, le blanc. Quand on veut du rouge, du bon, on va chez le caviste. Quand on veut du film, du bon, hors du commun, on demande au Professeur Thibaut. Sa cave à dvd possède les parfums exaltants de la découverte, de la rareté et de l'étrange. Et ses conseils sont comme le danger que préviennent les vrais panneaux de signalisation : Attention ! Ce coup-ci il nous a ramené du blanc. Du bison. Le Bison blanc de Jack Lee Thompson. Cuvée 1977. Avec du Charles dedans. Du Bronson à moustache. Un western crépusculaire. Un vrai. Et l'on s'en est délecté comme un dimanche après-midi après une bonne soirée avec des amis.
Œil de verre et poil de tapis 70's, agité comme un dragon de papier du nouvel an chinois, il se rue sur nous, de toc, monstrueux, fabuleux. Le bison blanc. Bronson dégaine. Shoot shoot, don't talk. Il vient de défourailler la banquette du dessus, crispé dans son sommeil. Mauvais réveil. Mauvais rêve. En route sur les rails d'un bad trip comme un animatronic poussé sur ceux d'un travelling. Car c'est lui qui accroche le regard au départ (l'animatronic trop visible) ; qui l'écorche même, au vu de quelques commentaires sur le net. Trucages ridicules, disent les adorateurs du postiche naturaliste, et blah blah blah. On s'en fout que le bison tueur ressemble au caniche empaillé de mamie, qu'il fasse plus bidon que bison. La perfection, à la parade, distille l'ennui de ce qui se donne à voir, quand le boiteux, plus fuyant, oblige à regarder. Et ici le fameux bison n'a pas vocation à faire plus vrai que nature, il est un animal mythologique, donc par nature invraisemblable. Plus proche du cachalot blanc, l'incontournable Moby Dick, que du grand requin blanc de Jaws. Il sera l'étoile polaire qui guide et unit deux protagonistes de l'Histoire que tout opposait : Wild Bill Hickok et Crazy Horse. C'est là qu'opère la magie. Celle de ces histoires qui jouent avec des personnages historiques devenus des mythes. White Buffalo n'a rien d'un biopic. Il imagine une digression à l'Histoire et à la légende : la rencontre de deux personnages qui se haïssent, unis sur les traces d'un bison tueur sorti des légendes sioux ; l'un pour venger la mort de sa fille et retrouver son nom, l'autre pour en finir avec un cauchemar et échapper à son nom. C'est là que se joue le film, sur l'identité. Fausse identité et identité faussée, comme on fausse compagnie. Une traque à la trace dans un pays enneigé. Qui laisse et recouvre des traces, comme la neige est à la fois tapis et linceul. Crazy Horse a été rebaptisé Worm, vers de terre, et retrouvera son vrai nom quand il aura tué de ses mains le bison. Hickok s'est donné un autre nom pour revenir incognito dans son pays mais bouge comme celle dont on n'ose pas prononcer le nom. La mort. Poussé par les fantômes de tous les inconnus qu'il a tués, Hickok est déjà ce dead man de Deadwood. Au crépuscule d'une frontière qui s'efface, entre les amoncellements d'os blanchis de bisons et une vielle catin amoureuse qu'il sait ne plus pouvoir désirer, il n'est déjà plus un homme et tente comme un dernier coup de bluff de changer d'identité pour échapper à la légende qui l'a enterré. Trop tard. Trop tôt. Derrière ses étranges lunettes fumées, Bronson avance comme un fantôme en devenir, lent et plissé. Il n'est pas encore fantôme, mais déjà mort ; sans William Blake ni les travellings latéraux de Jarmusch, il est déjà ce Deadman.

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