ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



25 mars 2011

Hardcore Will Never Die, But You Will

C'était il y a une douzaine d'années. La dernière fois que je les ai vus et la première. C'était au Bikini av-AZF. 1998 peut-être. Stuart Braithwaite avait alors dix kilos de plus et des cheveux. Ou un bonnet. J'avais des cheveux aussi, dix kilos de moins et pas de bonnet. On devait être une quarantaine de personnes dans la salle. C'était à l'époque de Young Team. Une claque. Un mur de son qui s'abat sur vous comme une pluie de hallebardes ; écrasé et transpercé de partout. Un son puissant, trop fort, et cristallin à la fois. Impossible de déceler la voix voisine qui essayait de se frayer un chemin au creux de l'oreille et pourtant on pouvait entendre les verres en plastique tomber au sol dans un ralenti à la Peckinpah. Énorme, physique, une expérience plus puissante qu'un live de Sonic Youth, qui est pourtant le plus grand groupe du monde de tous les temps de l'univers. Mogwai en concert, c'est Macbeth qui se tricote des cordes avec vos tripes. Ces Écossais jouent de la guitare avec vos entrailles. Ils tirent dessus comme sur des sirènes pour en extirper le cri de sorcières shakespeariennes. Et vous enveloppent de son comme les nappes de brume s'échappent de la tourbe. Organique et féérique, tel est le chant des guitares de Mogwai. Tragique et mélancolique, une musique de road-movie, visuelle, cinématographique. Mogwai, c'est le Two Lane Blacktop du post-rock. Une musique qui vous invite à bouffer l'asphalte jusqu'à brûler la pellicule. Des riffs étirés qui égrainent une mélancolie post-nucléaire. De la solitude et de la disparition. De la solitude de la disparition. Il y a aussi dans Mogwai quelque chose de la romance fantastique, du Peter Ibbetson. Et c'est peut-être cela, finalement, Mogwai : le fantôme de Peter Ibbetson qui lit Macbeth en faisant du stop sur le Macadam à deux voies de Monte Hellman. J'en étais là de mes pérégrinations mentales. C'était mardi dernier au Bikini ap-AZF. J'étais en train de me dire que la dernière fois que je les avais vus Braithwaite avait énormément joué assis, perché sur une enceinte monstrueuse. J'étais en train de me dire qu'ils bougeaient tous un peu plus la tête, qu'ils étaient moins statiques qu'il y a dix ans. Quand je réalisais que Braithwaite venait de s'assoir et que commençaient à pleuvoir sur la salle les notes de Like Herod. Le Young Team était de retour et un orage de sons, d'éclairs et de tonnerre terminait de doucher ma mémoire. On en était déjà au rappel, ils finiraient par San Pedro, une chanson qui fait taper du pied et bouger la tête. Fucking bastards ! me dis-je, ils auraient pu commencer par là. Là, ils vont nous laisser sur notre faim. Mais leur final s'éternise comme 2001, L'Odyssée de l'espace, dans une projection de noise interminable comme les traînées de lumières impressionnent la rétine du cosmonaute kubrickien. Frustré et gavé, comme tout bon rappel. Un concert n'est ni plus ni moins qu'un épisode de serial, un feuilleton. Et le rappel en est le cliffhanger qui vous laisse en suspend, frustré et excité, dans l'attente du prochain épisode, accroché à un « à suivre ».

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