ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



21 mars 2011

Il est bon ton film. Non, il est moribond. (True Grit 2)

Les frères Coen ont vieilli. Les frères vieillissent. Voilà ce que nous dit True Grit. Ils étaient, il n'y a encore pas très longtemps, de la jeune génération. Dix ans ont passé comme une ellipse et ils se réveillent vieillissants. Ils sont entrés dans le vieillir. Le film d'Hathaway marquait la fin d'une époque. Celui des Coen le début d'une nouvelle époque, d'un nouvel âge plutôt. John Wayne appartenait au passé, la Mattie des Coen entre dans la partie de la vie où l'on pense au passé. Voix off et dernier plan, en fait tout le film est un flashback dans lequel la narratrice nous raconte une vieille histoire. Une histoire qui appartient au passé. Une histoire que l'on raconte quand on commence à faire aussi partie du passé. Et cette Mattie-là, c'est les Coen. Nul doute que dans 100 dollars pour un shérif Hathaway s'identifiait à Cogburn. Trop vieux, trop d'époques traversées (historiques et cinématographiques) mais qui refuse de vieillir. Pour les Coen, c'est Mattie, ils ne sont pas encore vieux, leur jeunesse a passé et ils entrent dans l'âge où l'on vieillit plus sûrement, où l'on pense à vieillir. Cet âge où on pense au vieillir mais où l'on n'a pas encore à refuser de vieillir. Plus vieux et orphelins. Voilà ce que nous disent les frères Coen dans True Grit. En fait c'est un film très personnel. Plus vieux et orphelins, qu'ils nous disent. Orphelins du cinéma, parce que peut-être bien que leur Cogburn représente moins le western que le cinéma. Question de génération, question d'identification et d'objet d'identification. Comme disait Michael à François, le Cogburn des Coen, c'est Jeff Bridges déguisé en John Wayne. C'est une réminiscence du John Wayne de notre enfance. Quand on était petit et qu'on y croyait ; au cinéma, aux histoires que nous racontait le cinéma. Ce truc bizarre qui fait que Les Contrebandiers de Moonfleeet vous excite et vous transporte quand Pirates des Caraïbes vous amuse (cinéma de conte et cinéma de parc d'attractions). Un cinéma de conte, vu à travers des yeux d'enfant (revoir le Fritz Lang, voir la scène de chevauchée sous les étoiles chez les Coen, une séquence quasi onirique). Les Coen se sentent orphelins de ce cinéma-là. Question de génération peut-être. Question d'identification sûrement - rapport à leur film. Les Coen ne s'identifient pas à Cogburn, on l'a dit, ils s'identifient à Mattie. La Mattie de la voix off, la narratrice, déjà âgée quand commence le récit ; son récit. Pas la Mattie enfant qui vit une histoire extraordinaire. La Mattie âgée qui se souvient de la Mattie enfant qui a vécu une histoire extraordinaire. La Mattie qui se souvient de Cogburn. Et Cogburn est mort. Cogburn, c'est ce cinéma qui nous faisait rêver enfant. Cogburn est mort. Et Mattie en est orpheline, peut-être plus que de son père. Et elle en est jusque marquée dans sa chair, amputée. Comme son bras amputé souligne l'absence de ce cinéma. Disparu et si visiblement disparu que son souvenir en est tenace, qu'il est finalement toujours présent. Le problème, c'est qu'il s'agit là d'un point de vue de cinéaste, quand nous, spectateurs, on veut encore s'identifier à Cogburn, ou du moins le regarder avec les yeux de Mattie enfant. Ce qui est sûr, c'est que les Coen, qui ont commencé leur carrière avec une étiquette de maverick qui leur colle à la peau, éprouvent depuis plusieurs films déjà un désir de cinéma classique. Eux, qui ont toujours été présentés comme des outsiders, ont toujours été finalement très classiques. Ils semblent désormais l'assumer, voire le revendiquer. C'était peut-être mieux quand ils maquillaient ce classicisme avec l'ironie et l'irrévérence. Paradoxalement, cela faisait moins déguisement.

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